Smart cities et planification stratégique, pour de la cohérence dans la vision

Illustration de Deven T du Mauricien

Article de Platform Moris Lanvironnman paru dans Le Mauricien du 26 mai 2015

13 (ou 15) « smart cities » ou megaprojets proposés dans le Budget 2015 feraient bientôt de Maurice « un vaste chantier ». Quelles sont les implications de cette mesure pour l’écologie et l’environnement de notre île quand on constate que nous sommes dans une situation de mal gérance du foncier ? Et alors que de surcroît Maurice partage avec les SIDS (Small Island Developping States) une vulnérabilité exacerbée face au changement climatique ? PML est d’avis que si nous n’opérons pas une rupture avec les pratiques qui ont conduit à cette situation de mal gérance, nous amplifierons notre vulnérabilité aux risques systémiques, dont les inondations sont un exemple typique.

Situation de mal-gérance

Savoir où nous sommes et où nous allons fait partie de la responsabilité de gérance, du good governance, et il est extrêmement inquiétant que le pays continue à avancer à l’aveuglette dans un domaine aussi sensible pour une petite île que la gestion de l’utilisation du sol.

La zone côtière est sous très forte pression. Déjà, des infrastructures (routes, maisons, hôtels, écoles) se trouvent dans des zones exposées à des risques élevés d’inondation (y compris des inondations côtières dues à l’élévation du niveau de la mer); des terres agricoles sont menacées par l’infiltration de l’eau de mer. De plus, la gestion des terres de l’intérieur impacte sur la santé de la zone côtière.

La National Development Strategy (NDS) de 2003, dont un des objectifs est de « promote sustainable development which allows for the protection of the best quality agricultural land and of environmentally sensitive areas »,  avait mis en garde contre la dégradation de l’environnement et la destruction de zones écologiquement sensibles que pourrait provoquer la dispersion de développements résidentiels. Une évaluation de l’impact environnemental de la réforme sucrière[1] avait également attiré l’attention sur la nécessité de permettre la conversion de terres à des fins de création de IRS, de zones résidentielles et de parcours de golf dans les régions côtières seulement après une évaluation de l’impact environnemental pour l’ensemble d’un plan de conversion. Cette évaluation devrait inclure des investigations profondes sur chaque site spécifiquement car la conversion de terres sous cannes à des IRS[2] représente de sérieux risques environnementaux.

Or, force est de constater que les mises en garde de la NDS ni les recommandations du MAAS SEA n’ont été prises en compte avec comme conséquence une dégradation accélérée de certaines fonctions écosystémiques, comme en témoignent les inondations fréquentes.

Un Strategic Environmental Assessment (SEA)[3] permet que la phase d’élaboration des politiques intègre pleinement les considérations écologiques, environnementales et sociales.  Mais alors que les pays auxquels nous aspirons à ressembler pour leur statut de pays à haut revenus (High Income Country) sont de plus en plus nombreux à adopter la démarche SEA, ici nous opérons la démarche inverse. Alors que le SEA existait dans l’Environment Protection Act (EPA) de 2002, il a été enlevé de l’EPA suite au Business Facilitation Act de 2006. 

Les enjeux écologiques et environnementaux

Annoncé dans le budget, le concept de « smart city » demeure flou. Que veut dire « smart city » pour chacun des megaprojets ? Quel sera le lien entre les smart cities proposées et les ensembles humains et économiques existants aux alentours ?

Présentée dans son temps comme un modèle, Ebène Cybercity est une catastrophe du point de vue de la planification urbanistique, et des palliatifs ad hoc doivent être trouvés à chaque fois que surgit un problème. Conçue en dehors de tout plan d’aménagement d’ensemble (régional ou national), un des problèmes majeurs qu’elle pose est celui de la gestion de la circulation routière y entrant et sortant (et par extension celui du parking).

Annoncer que les 13-15  smart cities obéiraient aux principes d’un urbanisme vert ne suffit pas pour qu’ils soient considérés comme allant de facto dans le sens d’une consolidation de notre résilience écologique. Quel sera leur impact sur les écosystèmes environnants ? Quel sera l’impact de la « smart city » de Roches Noires sur la zone humide,  le barachois et la région alentour aussi bien côté terre que côté mer ? Quelles sont les autres zones écologiquement sensibles à protéger de tout empiètement ? Quelle protection pour les bassins hydrographiques garants d’une alimentation durable en eau ? Quelle protection pour le patrimoine historique et culturel (tel la Mare aux Songes) ? Les 13-15 smart cities annoncées feront-elles disparaitre ces questions ?

Des études menées depuis une quinzaine d’années indiquent que la destruction de 70% des wetlands dans la zone côtière du Nord est directement liée aux problèmes d’inondation subséquents dans cette région.[4] Or, la grande demande pour des terres pour la construction d’hôtels, de IRS, de business parks, de centres commerciaux et de morcellements résidentiels constitue une menace sérieuse à la santé et à l’existence même de ces wetlands et autres zones écologiquement sensibles.[5]

Le schéma directeur pour la région portuaire (Pointe aux Sables – Baie du Tombeau) s’intègrera-t-il dans un schéma national ? Quel sera l’impact environnemental et social du développement portuaire proposé ?

Le changement climatique apportera un bouleversement dans nos sources d’approvisionnement en nourriture, et une des mesures d’adaptation au changement climatique est d’assurer que la production locale de denrées alimentaires puisse garantir une marge de sécurité alimentaire. L’on sait de surcroit qu’une agriculture qui tend vers le « bio » requiert une superficie supérieure pour un rendement équivalent. Le gouvernement a-t-il défini la superficie nécessaire à sa politique vivrière?  Atteindre l’objectif de 35% d’électricité en 2025 à partir de sources renouvelables implique de maintenir une certaine superficie sous cannes, mais celle-ci décline d’année en année.

Responsabilité de gérance

La responsabilité de gérance implique la mise en œuvre de plans d’aménagement territorial dont le but est d’assurer un développement économique responsable compatible à la fois avec le good governance et la protection des ressources naturelles qui soutiennent la vie. Aussi, procéder à un état des lieux et à une révision en profondeur du plan d’aménagement du territoire national et des planning policy guidelines associésest une nécessité. Leur enforcement dans un cadre réglementaire devrait également être envisagé.

Concernant la démarche à adopter pour relever ce défi, nous ne pouvons suivre celle qui consiste à assimiler l’île Maurice à une grande ville uniquement sur la base de statistiques, même si la superficie s’en rapproche. Nous sommes une petite île éloignée de tout bloc continental et ayant un écosytème différent de celui d’une agglomération urbaine, et il nous faut en conséquence faire face à des enjeux que les grandes villes continentales n’ont pas à traiter. Dans ce processus, l’avenir du pays ne se décide pas par une vision mécanique imposée en top down. L’implication des citoyens dans une réflexion sociétale sur les enjeux (économiques, écologiques et autres) est fondamentale.

Platform Moris Lanvironnman réclame donc que se tient dans les plus brefs délais une large consultation sur la gestion du foncier dans le cadre d’une révision du plan d’aménagement du territoire national. Y consentir ne serait de la part du gouvernement que satisfaire une promesse électorale de tenir  « à très brève échéance » des consultations sur le développement durable. Platform Moris Lanvironnman (PML)


[1] Strategic Environmental Assessment (SEA) de la Multi Annual Adaptation Strategy (2006)

[2] Les RES sont apparus plus tard

[3] Le Strategic Environmental Assessment mène à la prise en compte des questions environnementales et sociales dans les processus de planification. Il est un outil extrêmement utile pour évaluer l’impact environnemental et social des options/scenarios proposés et de faire, à la lumière de cette évaluation, des recommandations quant aux mesures de mitigation qui seraient à même de réduire les impacts négatifs possibles. Loin d’être une tracasserie administrative, un SEA est un bon outil de gérance car il permet une prise de décision informée et évite donc bien des désagréments en aval.

[4] Etudes commanditées par le Ministère de l’Environnement en 2002 et 2008 

[5] Laurance et al. : Drivers of Wetland disturbance and biodiversity impacts on a tropical oceanic island, Elsevier, 2012

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