Aquaculture et petroleum hub : les enjeux (I) et (II)

Par Platform Moris Lanvironnman
Article paru en deux parties dans Le Mauricien du 13 et 17 juillet 2017

Depuis sa création en 2010, Platform Moris Lanvironman (PML) attire l’attention des autorités sur la nécessité de réaliser des Evaluations Environnementales Stratégiques (EES) avant la finalisation de schémas directeurs, stratégies sectorielles, plans et programmes. Elle est un outil extrêmement utile pour évaluer les options/scenarios proposés et permet d’évaluer l’efficacité potentielle des plans et programmes du point de vue du développement et de leur durabilité.  En sus de tester la concordance avec les stratégies sectorielles existantes, en procédant à des consultations publiques – étape inconditionnelle du processus -, une EES est en mesure d’identifier les conflits potentiels avec les opérateurs économiques existants et avec toute autre partie prenante. Loin d’être une tracasserie administrative, une EES est un bon outil de gérance car il permet une prise de décision informée et évite donc bien des désagréments en aval. Mener des EES est d’ailleurs conforme aux meilleures pratiques internationales.  Dans son commentaire du budget 2017–2018, PML avait exprimé son inquiétude que des schémas directeurs et stratégies proposés dans le Budget n’ont pas été sujets à une EES, tels la création de marinas et l’aquaculture en mer. Or, la conduite d’une EES sur l’aquaculture en mer se révèle être cruciale.

L’EES était présente dans l’Environment Protection Act (EPA) de 2002 et un Schedule listait les undertakings qui devraient y être soumis. Toutefois, le mécanisme pour le rendre opérationnel n’y était pas explicité. Suite au Business Facilitation Act de 2006, l’EES a été enlevée de l’EPA ; seule demeurait une mention-reliquat qui a été effacée dans le amended EPA Act de 2008. Des plans tels le Long Term Energy Strategy 2009-2025 qui incluaient le projet CT Power, et les Road Decongestion Programmes successifs depuis 2010, qui incluent un système de Light Rail Transport (métro léger/Express) n’ont pas été soumis au test d’une EES, avec pour conséquence des contestations provenant non seulement de la société civile mais aussi d’opérateurs économiques. Aujourd’hui, une partie de l’actualité est dominée par le petroleum hub et le projet de fermes marines sur la côte ouest.

Les déficiences du « Master Plan » pour l’aquaculture de 2007

En 2006, une étude avait été commanditée par le Board of Invesment (BOI) sur le potentiel de développement de l’aquaculture à l’île Maurice. Le rapport final de novembre 2007 intitulé « Développement de l’Aquaculture à l’Ile Maurice – Etude du potentiel aquacole » [1] indique dans la section ‘Préambule et Objectifs de l’étude’ qu’il « s’agit donc d’établir un véritable schéma de développement pouvant à terme servir de plan directeur de l’aquaculture durable, c’est à dire compatible avec le maintien de l’intégrité de l’environnement naturel. » [En gras dans le texte] Dans un document officiel publié en décembre 2007 par le BOI et le Ministry of Agro-Industry and Fisheries (Fisheries Division)[2] le rapport final soumis le mois précédent est présenté comme étant « an aquaculture Master Plan commissioned by the Board of Investment ».

Ce « plan directeur »  fait une évaluation très sommaire des cinq « Risques de conflits d’usage » que sont le tourisme, qui se limite à la présence d’hôtels en existence et alors projetés; les pêcheurs ; les réserves marines; l’activité industrielle, qui « est concentrée autour de Port Louis » et le « projet de création d’un port industriel à Mahébourg ; et enfin, les émissaires en mer « au sud de Port Louis et à Pointe Moyenne ». Il est fort probable qu’aucune étude EES n’a été entreprise pour valider le plan directeur car il semble que les seuls interlocuteurs hors organismes publics rencontrés sont des acteurs économiques opérant dans le secteur de la pêche (artisanale ou industrielle) et dans des activités connexes (logistique, alimentation des fermes).

En ne consultant pas toutes les parties prenantes, il n’aurait pas également rigoureusement testé l’inférence suivante: « Le fort développement touristique envisagé (x 3 en 10 ans) permet de penser que la présence d’hôtels sera la principale cause de risque de conflit avec l’aquaculture, surtout dans le Nord et certaines sites de la côte Sud Ouest. C’est pourquoi nous avons positionné les zones potentielles d’implantation de sites aquacoles aussi éloignées que possible des lieux d’activités touristiques. » Pourtant, un document en annexe du rapport indique que « la sélection d’un site repose sur un équilibre délicat qui, s’il est mal effectué, peut rapidement contribuer à fragiliser le projet lors de sa réalisation ou de son exploitation », et ajoute que le choix de l’implantation définitive d’une exploitation « doit être effectué avec soin ». Parmi les « principaux critères de sélection », le rapport indique trois critères sociaux, et en premier : « Compatibilité avec les activités humaines existantes : le littoral regroupe de nombreuses communautés d’origine et d’activités diverses. Les usages des lieux sont donc nombreux. Il convient de vérifier la compatibilité du projet avec les usages en vigueur, qu’ils soient artisanaux ou industriels ». Tout indique que les sites recommandés dans le schéma directeur l’ont été sans que ces conditionnalités n’aient été  adressées. Une EES aurait permis de saisir l’ampleur de la compatibilité ou non-compatibilité de cette activité avec d’autres.  Ce n’est donc guère surprenant que le projet de ferme aquacole de Growfish provoque une levée de boucliers non seulement de la part de la société civile mais aussi d’opérateurs économiques de la région pour raison de non-compatibilité.

Attaques de requins : est-ce que le schéma directeur a évalué les risques pour les sites ?

Le mouvement de requins autour de notre île n’a pas été étudié, comme ne l’a pas été l’attraction ou la sédentarisation de ce poisson en raison de la présence de fermes aquacoles offshore. Le manque d’évaluation scientifique des risques d’attraction de requins posés par l’implantation de fermes aquacoles hors récifs à Maurice est une autre lacune majeure du Plan directeur. Car qui dit attraction de requins autour des cages (ce que confirme Growfish International dans son rapport EIA – voir dans la seconde partie) dit augmentation du niveau de risque de visites surtout dans les endroits qui ne sont pas protégés par une barrière récifale.  Vu la proximité des sites d’aquaculture hors lagon  avec les importantes activités touristiques telles les sorties en bateaux de plaisance, la plongée, le dolphin watching, le whale watching, le kitesurfing, la réaction de la plupart des parties prenantes n’est pas surprenante car cela concerne leur sécurité et la survie de leur business.

Il est  bon de noter ici qu’aucun  lien entre la présence de la Ferme Marine de Mahébourg (FMM) située dans le lagon de Grand Port,  donc protégée par des récifs , et une attraction de requins autour des cages n’a été scientifiquement établi. A La Réunion, aucune étude scientifique ne démontre une corrélation directe entre la ferme aquacole de St Paul située dans une baie non protégée par des récifs et attaques de requins sur des humains.

Absence de zonage et de plan d’aménagement du littoral

Dans un commentaire liminaire  à propos de l’adaptation de la réglementation existante en 2007 pour l’attribution des concessions maritimes, le schéma directeur écrit : « La création de fermes aquacoles dans le domaine public maritime impose que soit établi un schéma d’aménagement des cultures marines. (…) [avec] pour objectif le zonage, l’exploitation de fermes aquacoles, la protection de l’environnement et l’aménagement du littoral. (…) En vue de sa création, il est conseillé d’adjoindre à l’autorité administrative une commission des cultures marines [en gras dans le texte]; celle-ci devrait comprendre des représentants de pêcheurs, des représentants du Ministère de l’urbanisme, du Ministère de la santé, des services fiscaux et bien évidemment des Affaires Maritimes. »

Le Maritime Zones Act de 2005 ainsi que le Fisheries and Marine Resources Act ont été amendés pour autoriser l’implantation de fermes aquacoles offshore, et leurs localisations exactes ont été précisées par un amendement aux regulations du Fisheries and Marine Resources Act en 2014. En revanche, la recommandation pour l’établissement d’un « schéma d’aménagement des cultures marines » avec pour objectif le zonage et l’aménagement du littoral n’aurait pas été suivie (voir  la seconde partie de l’article).

Il apparaît clairement que le plan pour le développement de l’aquaculture en cages en mer doit faire l’objet d’une évaluation environnementale stratégique si les autorités souhaitent en faire un secteur d’avenir durable.

Aquaculture et petroleum hub : les enjeux (II)

Comme nous l’avons écrit dans la première partie de cet article parue le 13 juillet dernier, il est fort probable que le Plan directeur pour l’aquaculture de 2007 n’a pas été soumis à une Evaluation environnementale stratégique (EES). En raison de cette sérieuse lacune, la présentation de projets d’aquaculture fait l’objet de contestations et de conflits ouverts entre des opérateurs économiques d’une part et le promoteur du projet et les autorités d’autre part. En parcourant le rapport EIA de Growfish International soumis au ministère de l’Environnement au début du mois de juin 2017, PML a décelé des problématiques qui requièrent une attention particulière ; il y en aurait d’autres.

Un EIA n’est pas un substitut à une EES

En 2009, le Department of Environment (DoE) avait publié des guidelines pour des EIA de projets d’aquaculture en mer – “EIA Guidelines for Fish Farming in the sea” -, qui informe que “the guidelines will not only assist developers and their consultants prepare better quality Environmental Impact Assessment reports but will also ensure that sufficient information is available for a proper assessment and for good decision making.” Selon ce document, parmi les informations que devraient contenir ces EIA figurent celles portant sur les impacts sur l’environnement ; les impacts écologiques ; les impacts sur les humains et les communautés humaines ; l’impact visuel ; et une évaluation des effets cumulés et synergétiques sur les environnements naturels et humains, soit “The ability of the natural and social environments to assimilate cumulative stresses placed on them », et « The likelihood of negative synergistic effects including proposed mitigating measures. » Le DoE demande en fait  des analyses environnementales et sociales qui auraient dues avoir été réalisées dans une EES pour s’assurer que les zones identifiées pour l’aquaculture peuvent potentiellement accueillir des projets.

Nous avons vu déjà que le Plan directeur n’a pas adéquatement identifié, et donc correctement évalué, les conflits d’usage potentiels.

A propos des effets cumulatifs et synergétiques, si le rapport EIA de Growfish International pourrait effectuer une évaluation des effets cumulatifs et synergétiques pour ses 2 fermes à Bambous, comment seront évalués les effets de ses deux fermes de Bambous cumulés à ceux de ses deux fermes du Morne? Comment seront évalués les effets cumulatifs et synergétiques de toutes les fermes identifiés (voir tableau ci-dessous) au fur et à mesure de leur entrée en opération, et à terme? Seule une EES serait en mesure d’évaluer ces impacts.

6.1.4 Offshore aquaculture areas identified
Location Area Observations
1 La Morne 1,250 ha Some 10 farms of 50ha each can be implemented in the short term
2 Tamarin 420 ha Some 15 farms of 50ha each can be developed in the medium term.
A sea platform will be required for sites 4 and 5
3 Bambous 420 ha
4 Trou aux Biches 480 ha
5 Cap Malheureux 600 ha
6 Coin de Mire Several thousands of ha available in the long term
Source : Potential for Sustainable Aquaculture in Mauritius, 2007

A propos de consultations publiques, les EIA Guidelines indiquent qu’elles doivent être menées avec des « environmental and amenity groups and local residents, local fishermen, hotel operators, leisure boat operators etc. likely to be affected by the proposed development. » Or, tout indique que les autorités elles-mêmes n’ont pas effectué des consultations avec tous ces stakeholders lors de l’élaboration du Plan directeur. Pour sa part, Growfish International qui est tenu de respecter les EIA Guidelines en soumettant un rapport EIA a été très économe en consultations en « consultant » qu’un tout petit groupe de pêcheurs à Bambous.

Le point clé demeure toutefois que si le schéma directeur pour l’aquaculture n’a pas été soumis à une EES en 2007, le EIA guidelines de 2009 du ministère de l’Environnement ne peut se substituer à une EES. Les autorités ne peuvent pas demander à un promoteur de pallier une faille dans l’élaboration d’une politique sectorielle.

Le zonage et l’aménagement du littoral

Nous avons écrit que la recommandation du Plan directeur pour l’établissement d’un « schéma d’aménagement des cultures marines » avec quatre objectifs précis, dont un zonage et un plan l’aménagement du littoral ne semblait pas avoir été suivie car le rapport EIA de Growfish International a soulevé la question d’un potentiel conflit avec d’autres usagers de la mer. Le promoteur a en effet déploré l’absence de couloirs de navigation autour de l’île et a demandé que des No-go areas et des zones tampons autour des fermes ainsi qu’un “appropriate regional land use planning” soient établis. Est-ce à un promoteur de demander aux autorités de procéder à la mise en place d’un zonage de l’espace marin et de couloirs de navigation? Cette lacune est criante car le document du BOI et du ministère concerné écrit : “The output from the study should also serve as a marketing tool for the Board of Investment to sell Mauritius as a base for marine aquaculture projects to potential investors. Finally, it should serve as an eye-opener to interested investors or fishermen’s associations, who may subsequently decide to carry out more detailed feasibility and invest in marine aquaculture projects of their choice.

Qu’en est-il de l’aménagement du littoral nécessaire à l’installation d’infrastructures à terre pour la réception et la transformation des prises  des fermes ?

Si les autorités n’ont pas assuré la réalisation des pré-requis au développement du plan d’aquaculture offshore, pourquoi ont-elles accordé des concessions en mer et donné un accord de principe à un promoteur pour l’installation de quatre fermes offshore à Bambous et à Le Morne?[4]

Growfish International, petroleum hub, requins et cobias

Le « fuel spillage » est aussi invoqué dans le rapport EIA du promoteur car la pollution par déversement d’hydrocarbures from boats, bunkering activity peut entraîner un niveau élevé de mortalité des poissons et « Accordingly, it should be ensured that all activities are compatible with fish farming[5] et parle de “proper site selection”. Les autorités ont-elles identifié et évalué les risques liés au bunkering activity du petroleum hub avant de donner un accord de principe à Growfish International pour aller de l’avant avec son projet de fermes ? Le niveau de risque qu’un fuel spillage from bunkering activity affecte le site de Bambous a-t-il été évalué par les autorités avant de proposer à la fois l’aquaculture et un petroleum hub dans une même zone de la côte ouest ?

Ayant identifié le risque d’une mortalité massive par contamination par produits pétroliers, le promoteur pour sa part a-t-il bien évalué les risques avant de soumettre son projet ? Car il existe déjà des activités nautiques motorisées dans la zone des deux sites de fermes et il est au courant du projet petroleum hub, qui représente selon son rapport EIA une source de risque majeure à son élevage de Bambous. En la présence de tels risques, pourquoi Growfish International a-t-il soumis un projet pour le site Bambous ? Est-ce raisonnable de sa part ?

Le promoteur reconnaît que ses fermes agissent comme des dispositifs de concentration de poissons et que des requins pourraient attaquer et endommager les cages.  Cependant, il ne fait aucune évaluation des risques posés par une augmentation dans la fréquentation des zones des fermes par des requins, entre autres sur l’entrée de requins en plus grand nombre dans le lagon.  Or ces risques auraient dû avoir été évalués car il existe des zones de baignade, de plongée, et de surf qui ne sont pas protégées par une barrière récifale.

L’impact sur la biodiversité demande à être correctement évalué, en raison de l’attraction d’une faune marine autour des cages et des risques de pollution, parmi d’autres.

La proposition de Growfish International, apparemment discutée avec des autorités mauriciennes, de cultiver du soja destiné à l’alimentation des cobias de ses fermes soulève des questions, à la fois sur le bienfondé de l’introduction de la culture du soja à Maurice, et sur l’impact écologique de la conversion de cette source de protéine végétale en protéine animale. Elle relève en fait de toute la problématique de la durabilité de la chaîne de valeur de l’aquaculture.

Conclusion et propositions

Faute d’une évaluation environnementale stratégique du Plan directeur pour l’aquaculture, les autorités n’ont pas évalué de manière adéquate les conflits avec des utilisateurs actuels de l’espace concerné par le projet Growfish – presque toute la côte ouest – ainsi que toutes les autres implications de l’aquaculture en cages en mer (entre autres, l’impact visuel des cages). Elles font face aujourd’hui à une véritable levée de boucliers de la part d’hôteliers et autres opérateurs touristiques, d’associations corporatives telle l’AHRIM, d’associations environnementales et communautaires ainsi que d’utilisateurs des lagons.

Ces conclusions pourraient s’appliquer également à l’implantation du petroleum hub à Albion/Pointe aux Caves dans le cadre du Port Master Plan de 2002 et de 2016, qui ne semblent pas non plus avoir été soumis à une EES. Dans ce cas aussi, les conflits se sont fait jour, et la contestation ne fait qu’enfler en se mêlant à celle autour des fermes aquacoles. Ce constat indique également qu’une gestion de toute la zone dans une perspective d’Integrated Coastal Zone Management est requise.

Face aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux que posent l’aquaculture en mer et l’implantation d’un terminal pétrolier et une jetée à Albion, PML avance les propositions suivantes :

  1. Une revue en profondeur du Plan directeur pour l’aquaculture suite à la réalisation d’une évaluation environnementale stratégique du Plan, qui devra prendre en considération le plan d’extension du port sur Albion/Pointe aux Caves. Ce n’est qu’à la lumière des conclusions de cette EES qu’une décision pourra être prise sur la localisation potentielle de sites d’aquaculture en mer, et donc sur le projet de Growfish International.
  2. Une gestion de la côte ouest, et de tout le littoral mauricien, selon les principes de l’Integrated Coastal Zone Management (ICZM).

Platform Moris Lanvironnman
13 Juillet 2017

[1]http://fisheries.govmu.org/English/Publication/Documents/Report%20on%20the%20Aquaculture%20Master%20Plan.pdf

[2] http://www.investmauritius.com/media/79711/Potential-for-Sustainable-Aquaculture-in-Mauritius.pdf

[3]

[4]http://fisheries.govmu.org/English/Documents/Aquaculture%20production%20data%20for%20the%20year%202010_2016.pdf

[5] EIA Report Growfish International, June 2017, 6-1 et 6-2

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Twitter picture

You are commenting using your Twitter account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.